Galerie des Modernes

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Alberto Giacometti

Sculpture, peinture, dessin, gravure, Surréalisme, figures humaines

(Borgonovo, 1901 – Coire, 1966)

Alberto Giacometti grandit en Suisse dans le Val Bregaglia, à quelques kilomètres de la frontière italo-helvétique. Son père, Giovanni Giacometti (1868-1933) est un peintre impressionniste estimé des collectionneurs et des artistes suisses. Il partage avec son fils ses réflexions sur l’art et la nature de l’art.

Alberto Giacometti réalise à 14 ans, dans l'atelier de son père, sa première peinture à l’huile, Nature morte aux pommes (vers 1915) et son premier buste sculpté, la petite Tête de Diego sur socle. Son père et son parrain, le peintre symboliste Cuno Amiet (1868-1961), sont deux figures essentielles dans le développement artistique du jeune Alberto. En 1922, Giacometti part étudier à Paris et entre à l’Académie de la Grande-Chaumière, où il suit l’enseignement du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929). Des dessins de nus témoignent de cet apprentissage, et, comme ses premières sculptures cubistes, de l’influence de Jacques Lipchitz et de Fernand Léger.

L’œuvre de Giacometti est marquée par l’influence de la sculpture africaine et océanienne. Quand Giacometti s’y intéresse en 1926, l’art africain n’est plus une nouveauté pour les artistes modernes de la génération précédente (Picasso, Derain); il s’est même vulgarisé au point de devenir décoratif. Les deux œuvres qui l’ont fait remarquer du public pour la première fois, la Femme-cuillère et Le Couple, exposées en 1927 au Salon des Tuileries à Paris, témoignent du bouleversement que cette rencontre produit chez le jeune artiste. En 1928, Giacometti commence une série de femmes et de têtes plates, dont la nouveauté lui vaut d’être remarqué en 1929 et d’obtenir un premier contrat avec une galerie, celle de Pierre Loeb, qui expose les Surréalistes. A cette époque, Giacometti fréquente Carl Einstein, l’auteur du livre de référence sur la sculpture africaine, Negerplastik (1915) et Michel Leiris, qui deviendra un spécialiste de l’art dogon. Plusieurs œuvres plus tardives, dont des plâtres peints exceptionnels et quelques peintures, montrent comment l’art non-occidental a influencé durablement sa production. L'artiste s’éloigne d’une représentation naturaliste et académique pour une vision totémique et parfois hallucinée de la figure, chargée d’une puissance magique.

Giacometti adhère au mouvement surréaliste d’André Breton en 1931 et en est exclu en février 1935, mais les procédés surréalistes jouent une importance continue dans sa création : vision onirique, montage et assemblage, objets à fonctionnement métaphorique, traitement magique de la figure. La Tête qui regarde le fait remarquer par le groupe en 1929, et la Femme qui marche de 1932, conçue comme un mannequin pour l’importante exposition surréaliste de 1933, figurera dans sa version actuelle, sans bras ni tête, à l’exposition surréaliste de Londres en 1936. Une version peinte de la construction sur plateau intitulée Le Palais à 4 heures du matin évoque l’aspect théâtral de son univers onirique. Membre actif du groupe de Breton, Giacometti s’y impose vite comme l’un de ses rares sculpteurs. En créant en 1965 pour une rétrospective à Londres une dernière version de la Boule suspendue et en en donnant une version peinte, Giacometti montre la persistance de son lien avec le mouvement.

La création d’objets d’art décoratif montre l’intérêt de Giacometti pour les objets utilitaires, qu’il admirait dans les sociétés antiques ou primitives. En 1931, Giacometti créé une nouvelle typologie de sculptures, les  Objets mobiles et muets : des objets aux mouvements latents et suggérés, qu’il faisait exécuter en bois par un menuisier. Comme l’Objet désagréable ou l’Objet désagréable à jeter, la Boule suspendue établit un pont entre l’objet et la sculpture et interroge le statut même de l’œuvre d’art. Dans certaines de ses sculptures, Giacometti recourt pour la première fois au procédé de la « cage », qui lui permet de délimiter un espace onirique de représentation. A partir de 1930, Giacometti crée de nombreux objets utilitaires : lampes, vases, appliques qui étaient vendus par le décorateur d’avant-garde Jean-Michel Frank. Il conçoit aussi des bas-reliefs en plâtre ou en terre-cuite pour des commandes spéciales, notamment pour l’hôtel particulier des Louis-Dreyfus à Paris. En 1939, il est l’un des artistes sollicités pour une grande commande d’un collectionneur argentin pour lequel il dessine des cheminées, des lustres, des consoles. Juste avant l’envoi à Buenos Aires, le décor complet, coordonné par Jean-Michel Frank, est installé dans une maquette à grandeur réelle à Paris. Après la guerre, Giacometti continue à créer d’autres objets dont une lampe en 1950, inspirée de la statuaire dogon et des objets funéraires égyptiens, ou un foulard en 1959 pour une commande de son galeriste Aimé Maeght.

Jean-Paul Sartre, que Giacometti rencontre en 1941, est l’auteur de deux essais fondamentaux sur l’Art de Giacometti publiés en 1948 et en 1954, sur la Question de la Perception. Tout aussi importantes sont ses conversations avec le traducteur japonais de Sartre, Isaku Yanaihara, professeur de philosophie qui posa pour lui de 1956 à 1961. En 1948, l’Etat français qui souhaitait honorer les intellectuels et artistes français, avait passé commande à Giacometti d’une médaille consacrée à Jean-Paul Sartre ; cette médaille ne fut pas exécutée, il n’en reste que des dessins. De 1951 à sa mort, Giacometti exécute une série de « têtes noires », qui avec quelques têtes sculptées anonymes, donnent corps au concept d’homme «générique», que Sartre résumera en 1964 dans son roman Les Mots par la formule: « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». C’est la contribution capitale de Giacometti à l’histoire du portrait au XXème siècle.

Les portraits de Giacometti, peints et sculptés, sont la traduction du modèle en tant qu’irréductible altérité, jamais saisissable dans son intégralité. Dégagés de toute émotion ou expression, ces portraits sont le réceptacle de ce que le spectateur y apporte. Pour l’artiste, il s’agit de capter et rendre la vie frémissante du modèle et non sa psychologie. Par exemple, la cuisinière de sa mère, Rita, devient sous le pinceau de Giacometti un personnage hiératique dégagé de tout contexte sociologique.

Ses modèles favoris sont ceux qui vivent à ses côtés : Annette, son épouse depuis 1949, et Diego, son frère et assistant, qui servent de support à ses recherches les plus avancées. Travaillant de mémoire, il fait surgir leur image au sein d’un espace imaginaire. Travaillant d’après modèle, il refuse la perspective classique pour restituer le modèle posant tel qu’il le voit – dans son aspect parcellaire ou déformé, toujours changeant. Leurs traits distinctifs se dissolvent et parfois se fondent, ou se réduisent à l’essentiel. Giacometti représente aussi des modèles occasionnels, à condition qu’ils acceptent de poser pendant des heures devant son pinceau : l’industriel et collectionneur anglais Sir Robert Sainsbury, l’intellectuelle raffinée Paola Carola-Thorel, l’artiste Pierre Josse. Chaque séance de pose suscite une nouvelle succession de perceptions, qui l’artiste cherche à accumuler sous son pinceau. Caroline, jolie femme à la personnalité complexe qui fréquente le milieu du banditisme et pose à partir de 1960, est présentée sous trois aspects très différents : déesse lointaine, figure totémique et dangereuse, beauté sculpturale.

Au cours de sa vie, Giacometti pratique toutes les techniques de l’estampe: bois, burin, eau-forte, aquatinte et surtout, à partir de 1949, la lithographie. Témoin du mariage d’André Breton en 1934, il illustre le recueil offert par le poète à sa jeune épouse, L’Air de l’Eau. Grand amateur de livres et ami de nombreux écrivains et poètes, Giacometti illustra aussi les écrits de René Crevel (Les Pieds dans le Plat, 1933), Georges Bataille (Histoire de rats, 1947), Michel Leiris (Vivantes cendres, innommées, 1961) ou René Char (Retour Amont, 1965). A partir de 1951, il réalise des planches lithographiques éditées séparément par la galerie Maeght. Giacometti a toujours été un partisan de la diffusion de son œuvre grâce à l’édition de qualité, qu’il s’agisse de ses objets d’art décoratif en la fonte et en bronze ou de ses dessins au moyen de l’estampe. La lithographie est un médium qui se prête bien à cette diffusion, surtout à partir de 1961 quand le prix de ses autres œuvres devient très élevé. La lithographie par report du dessin sur plaque de zinc offre en outre l’avantage de ne nécessiter qu’un matériel léger et maniable : du papier spécial et un crayon lithographique qui laisse toute sa spontanéité au trait. L’artiste peut ainsi sortir de l’atelier dans la rue et croquer sa ville, les terrasses des cafés, le métro aérien, les chantiers de modernisation comme l’aéroport d’Orly, l’imprimerie du lithographe, pour revenir à l’atelier. Ce sera le sujet de Paris sans fin, recueil de 150 estampes commandé par l’éditeur Tériade, auquel Giacometti travaille à partir de 1959 et qui ne sera publié qu’après sa mort prématurée.

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